La fumée primordiale et la naissance des étoiles

La fumée primordiale et la naissance des étoiles

 

Au commencement du monde visible, la matière flottait dans une confusion subtile, une vapeur sans forme ni lumière. Le Coran évoque ce moment mystérieux en des termes simples et puissants :

« Puis Il se tourna vers le ciel, qui était fumée, et Il lui dit, ainsi qu’à la terre : “Venez, bon gré ou malgré.” Ils dirent : “Nous venons, pleins d’obéissance.” » (Fuṣṣilat 41 : 11)

Ibn Kathîr écrit : « Le mot dukhân signifie une vapeur dense, une matière chaude qui monte avant que la lumière ne paraisse Al-Râzî précise : « Dieu décrit la création sous la forme d’un dialogue, pour rappeler que tout ce qui existe répond à Son ordre. » Ce dialogue cosmique est la première obéissance, le ciel et la terre se soumettent avant même d’être achevés.

Les savants musulmans voyaient dans cette “fumée” la trace d’une matière première encore informe mais déjà vivante de la volonté divine. Al-Bîrûnî, dans son Qānūn al-Mas‘ūdī, explique que « les corps célestes furent d’abord des vapeurs incandescentes puis, sous l’effet du refroidissement et de la mesure, ils prirent forme et mouvement ». Cette vision, bâtie sur l’observation des phénomènes naturels, rejoint l’idée coranique d’une création progressive, passant du feu à la lumière, de la chaleur à l’équilibre.

Al-Bîrûnî n’était pas un théologien qui décrivait pour prouver,il décrivait pour comprendre la sagesse. Dans un passage souvent cité, il écrit : « Quand le feu devient lumière, il perd sa violence ; quand la matière devient ordre, elle révèle la paix de Dieu. » Ces mots traduisent la conviction profonde que l’univers n’est pas une explosion chaotique mais une pacification progressive. Dieu apaise la matière pour qu’elle devienne habitation.

Le Prophète , dans un hadith rapporté par Muslim, dit : « Dieu créa Sa création dans les ténèbres, puis Il jeta sur elle une part de Sa lumière ; celui qu’elle atteignit fut guidé, et celui qu’elle manqua s’égara. » Les exégètes y voient une analogie spirituelle et cosmique, la lumière physique précède la lumière du cœur. Ce passage des ténèbres à la clarté est à la fois cosmologique et moral, il se rejoue en chaque être humain.

Les étoiles, selon le Coran, furent ensuite disposées comme des lampes dans le firmament :

« Nous avons certes embelli le ciel le plus proche par des lampes et en avons fait des projectiles contre les démons. »(Al-Mulk 67 : 5)

Ibn Kathîr écrit : « Les étoiles furent créées pour trois raisons : embellir le ciel, servir de repères et châtier les démons. »
Al-Qazwînî, dans Ajā’ib al-Makhlūqāt, développe longuement cette idée : « Les étoiles ne sont pas seulement des feux suspendus ; chacune est un signe de guidance. Elles indiquent les directions, annoncent les saisons et témoignent de la constance divine. » Pour lui, la contemplation du ciel étoilé est un acte de foi aussi noble que la prière car elle conduit à la reconnaissance du Créateur.

Les astronomes musulmans, héritiers de cette vision, transformèrent la contemplation en science. A Damas, al-Ṣūfīdressa les premières cartes précises des constellations et décrivit la couleur et la taille des étoiles. Il écrivit : « Le ciel n’est pas un voile uniforme, c’est un tissu brodé de perles lumineuses. » Chaque point de lumière, notait-il, suit une course mesurable et cette régularité est la preuve d’une volonté unique.

Al-Bîrûnî comparait les étoiles à des lettres dispersées sur la page du ciel : « Elles semblent éparses, mais leur ordre ne varie pas. Si l’une disparaissait, le sens du Livre serait altéré. » Cette métaphore magnifique montre comment la science islamique lisait le cosmos comme un texte. Étudier les astres, c’était lire la kalima la Parole créatrice en acte.

Les savants distinguaient les astres fixes et les “planètes errantes”. Ibn al-Haytham observa leurs mouvements et conclut que « l’ordre naît de la variation ». Dieu, disait-il, a voulu que certaines étoiles demeurent immobiles pour servir de repères et que d’autres se déplacent pour annoncer les changements du temps et du destin. C’est là le sens de la parole : « Chacun vogue sur une orbite. » (Yâ-Sîn 36 : 40).

Le Coran établit un lien étroit entre la lumière et la guidance :

« C’est Lui qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une lumière, et Il en a déterminé les phases pour que vous sachiez le nombre des années et le calcul. » (Yûnus 10 : 5)

Al-Râzî souligne que le verset distingue deux formes de lumière celle qui éclaire par elle-même (le Soleil) et celle qui reflète (la Lune). Il en tire une leçon spirituelle : « Le Prophète est comme le Soleil, source de lumière ; les savants sont comme la Lune, qui la réfléchit. »

Cette interprétation poétique relie la cosmologie à la transmission du savoir. La lumière des astres devient symbole de la science révélée.

Dans le désert, les bédouins guidaient leurs caravanes par les étoiles. Le Coran y fait allusion :

« C’est Lui qui a établi pour vous les étoiles, afin que vous vous guidiez dans les ténèbres de la terre et de la mer. » (Al-An‘ām 6 : 97)

Pour al-Qurṭubî, ce verset renvoie à deux guidances, la guidance physique du voyageur et la guidance spirituelle du croyant. Le ciel devient alors une carte céleste du salut, qui sait lire les étoiles du monde saura reconnaître celles du cœur.

Dans les cercles d’al-Andalus, les astronomes considéraient cette correspondance comme la plus belle des preuves. Ibn Bâjjah (Avempace) écrivait : « Le ciel est l’image de l’âme ; quand les étoiles s’éteignent, l’homme perd la direction. » Il ajoutait : « La clarté des astres est à la vision ce que la révélation est à la raison, elle éclaire sans abolir. »

Les théologiens musulmans firent aussi de la lumière une catégorie métaphysique. Al-Ghazâlî, dans Mishkāt al-Anwār, explique que la lumière sensible n’est qu’une image de la lumière divine : « Toute lumière que tu vois est un emprunt de Sa lumière. Si Dieu retirait Sa clarté, tout deviendrait ombre. »
Ainsi, la naissance des étoiles devient une parabole de la manifestation divine. Dieu se révèle sans se confondre avec Sa création, comme le Soleil éclaire sans se mêler à ce qu’il illumine.

Les soufis ont approfondi cette symbolique. Ibn ‘Arabî décrit les étoiles comme les “respirations de la Miséricorde”. Chaque scintillement, dit-il, est un rappel que la présence divine ne se retire jamais du monde. Le firmament tout entier devient un chapelet de lumière, récitant silencieusement le nom de Dieu.

Dans les traditions rapportées par al-Suyûṭî, certains Compagnons disaient que lorsque le croyant regarde les étoiles et se souvient du Créateur, son cœur devient plus lumineux que celles-ci. ‘Alî ibn Abî Ṭâlib affirmait : « Les étoiles sont des sentinelles pour le ciel et les savants sont des sentinelles pour la terre ; quand les unes tomberont, les autres disparaîtront. » Cette parole lie la stabilité du monde matériel à celle du monde spirituel, la science et la foi se soutiennent mutuellement.

Les savants modernes ont observé dans le ciel des phénomènes que le Coran suggère. La formation des étoiles à partir de nuages de gaz, les explosions qui ensemencent l’espace de nouveaux éléments, la mort des astres donnant naissance à d’autres mondes. Loin d’éloigner le croyant, ces découvertes l’émerveillent, elles révèlent la continuité du décret.
Car le Coran dit : « Chaque jour, Il est à une œuvre. » (Ar-Raḥmân 55 : 29).

Dieu ne cesse de créer, de renouveler, de faire naître des mondes de la poussière d’autres mondes.

Al-Bîrûnî avait déjà écrit : « Le ciel n’est pas un passé figé, mais un présent qui se renouvelle. Si Dieu suspendait un instant Son vouloir, les astres cesseraient de tourner. » Et Ibn al-Haytham ajoutait : « La lumière voyage et son mouvement est la preuve que Dieu agit à chaque instant. » Ces phrases, écrites mille ans avant la science moderne, témoignent de la même intuition, la création est un acte continu, un flux de lumière.

Quand la nuit s’étend sur le désert, le croyant qui lève les yeux vers les étoiles comprend que chacune d’elles est un signe. Le Coran les nomme masâbîḥ, des lampes. Elles ne sont pas là pour seulement orner, mais pour rappeler. Chacune répète : « C’est Lui qui a fait descendre la lumière dans les ténèbres. »
Et dans cette lumière, l’homme trouve le chemin de sa propre orientation.

« Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe ; la lampe est dans un cristal ; le cristal ressemble à un astre brillant. » (An-Nūr 24 : 35)

Ce verset résume tout, la lumière physique et la lumière spirituelle procèdent d’une même source. Les étoiles ne sont que les reflets de cette lampe divine suspendue au cœur de l’univers.

Ainsi, du nuage initial à la clarté des constellations, le monde n’a cessé de passer de la confusion à la beauté. La fumée primordiale devint étoile, l’obscurité devint orientation. Dieu tira de la densité du chaos la transparence du ciel. Et dans cette clarté, Il enseigna à l’homme que la vraie lumière n’est pas celle qui brille dans le firmament, mais celle qui se lève dans le cœur.

 

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