Le commencement


 Le commencement

Du néant à l’ordre cosmique

 

Au commencement, il n’y avait rien que la présence absolue de Dieu. Nulle étoile, nul atome, nulle lumière : seulement l’Être sans limite, hors du temps et de l’espace. Le Prophète  a dit : « Dieu existait et rien n’existait avec Lui ; Son Trône était sur l’eau, puis Il créa la création et inscrivit toute chose dans le Livre. » (Al-Bukhârî). 

Tout naquit d’une Parole : « Sois ! » — et l’univers commença son éclosion silencieuse. Ce premier décret, immatériel, est le fondement de toute la cosmogonie islamique : la création procède d’une volonté et non du hasard.

Ibn Kathîr, dans son Tafsîr, commente le verset : « Votre Seigneur est Celui qui a créé les cieux et la terre en six jours, puis S’est établi sur le Trône » (Al-A‘râf 7 : 54). 

Il précise que ces « jours » ne sont pas des jours terrestres mais des étapes, des périodes mesurées selon la sagesse divine. At-Ṭabarî, avant lui, expliquait que le mot yawm en arabe désigne « toute durée déterminée », même immense. Le Coran décrit donc une création progressive : six moments d’équilibre où la matière informe reçut forme, lumière et direction. Rien n’est improvisé ; tout est ordonné selon la hikma de Celui qui « fait de toute chose une mesure ».

Avant cette mise en ordre, le Coran évoque une substance primordiale : « Et Son Trône était sur l’eau » (Hûd 11 : 7). Al-Râzî voit dans cette « eau » l’élément premier, la matrice de toute existence. Al-Ghazâlî écrit : « Du fluide, Dieu fit naître la solidité ; Il transforma la souplesse en structure, pour rappeler que Sa puissance tire la stabilité de la faiblesse. » Ibn Taymiyya, quant à lui, y lit la sagesse d’une origine humble : « Il voulut que la substance de la création fût l’eau, afin que nul ne s’enorgueillît de la matière dont il est issu. » Ainsi, la cosmologie islamique repose sur l’idée d’une genèse douce : le fluide devient forme, la parole devient monde.

Vint ensuite le grand déploiement. Le verset célèbre résonne comme un secret : « Les cieux et la terre formaient une masse compacte, puis Nous les avons séparés. » (Al-Anbiyâ’ 21 : 30). 

Ibn Kathîr écrit : « Ils étaient unis, puis Dieu les fendit pour que se manifestent la clarté et l’espace. » Al-Qurṭubî ajoute : « La création s’est ouverte comme l’enfant qui naît : d’un sein obscur, la lumière jaillit. » L’image du ratq (union) et du fataq(fente) exprime à la fois la rupture et la révélation : Dieu sépara pour faire apparaître.

Cette conception spirituelle trouve une étonnante correspondance dans la physique moderne : l’univers observable semble issu d’un état initial extrêmement dense, suivi d’une expansion. Mais là où la science s’arrête à la description, le Coran donne le sens : la séparation n’est pas une explosion, mais une manifestation. Elle est le passage du potentiel à l’être.

Ibn ‘Abbâs, interrogé sur ce verset, répondit : « Ils étaient soudés, ne laissaient passer ni pluie ni végétation ; Dieu ouvrit le ciel pour la pluie et fendit la terre pour la plante. » (Rapporté par at-Bayhaqî). Il liait ainsi la genèse cosmique à la genèse biologique : la fécondité céleste rejoint la fertilité terrestre.

Puis le Coran poursuit : « Puis Il se tourna vers le ciel, qui était fumée (dukhân), et Il dit à celui-ci et à la terre : “Venez, bon gré ou malgré !” » (Fuṣṣilat 41 : 11).

Ibn Kathîr décrit ce dukhân comme une « vapeur subtile » issue de la matière première. Al-Bîrûnî, dans son Kitâb al-Qānūn al-Mas‘ūdī, y voit une allusion à « l’état gazeux » du cosmos primitif. Pour lui, Dieu « fit passer la création du souffle invisible à la densité visible ». Cette intuition, plusieurs siècles avant les théories modernes de la condensation cosmique, montre combien la pensée musulmane liait la foi à l’observation.

Al-Bîrûnî écrivait : « La physique ne contredit pas la théologie ; elle la prolonge. Car étudier la matière, c’est contempler les modes par lesquels Dieu agit dans le monde.» A ses yeux, les lois naturelles sont les coutumes de Dieu (sunan Allāh) : des habitudes de Sa sagesse. Cette idée, qu’on retrouve chez Ibn al-Haytham et al-Zarqâlî, marqua profondément la civilisation islamique : la science devient une forme de contemplation.

C’est pourquoi les Compagnons ne séparaient jamais savoir et adoration. Une nuit, ‘Umar ibn al-Khaṭṭâb sortit de Médine et, levant les yeux vers la voûte céleste, s’exclama « Seigneur, Tu as suspendu cela sans corde ni pilier ! Si l’un de nous manquait à la prière, tout s’effondrerait. » Ce propos, rapporté par Ibn Abî Shayba, exprime la conscience intime d’un ordre dépendant de l’obéissance.

Le Coran dit : « Dieu est Celui qui a élevé les cieux sans piliers que vous puissiez voir. » (Ar-Ra‘d 13 : 2)

Al-Râzî commente « Les piliers existent, mais ils sont invisibles : ce sont les forces par lesquelles Il retient Sa création. » On peut y lire une métaphore des lois gravitationnelles que les savants découvriront plus tard.
Mais la finalité demeure spirituelle, l’ordre céleste est la preuve d’un Ordonnateur, non d’un mécanisme aveugle.

Les savants d’al-Andalus prolongèrent cette méditation dans leurs calculs. Al-Zarqâlî construisit des instruments d’une précision remarquable et confia à ses élèves : « Chaque cercle que vous tracez est une prière. Car mesurer le ciel, c’est reconnaître Celui qui le maintient. » Ibn al-Haytham, quant à lui, écrivait : « Si un seul astre déviait de sa trajectoire, l’univers s’écroulerait. » Ces paroles témoignent de la profonde unité entre science et foi : la rigueur du calcul devient louange silencieuse.

Le Coran rappelle cette harmonie dans un verset grandiose :
« C’est Lui qui a créé les cieux et la terre en vérité ; Il enroule la nuit sur le jour et enroule le jour sur la nuit, et Il a assujetti le Soleil et la Lune, chacun poursuivant sa course jusqu’à un terme fixé. » (Az-Zumar 39 : 5)

Al-Qurṭubî souligne que le mot yukawwiru — « enrouler » — évoque le mouvement sphérique, le turban qu’on déroule autour d’une tête. Cette image, quatorze siècles avant la reconnaissance de la rotondité terrestre, exprime à la fois l’alternance et la continuité. Dieu enroule et déroule, sans rupture, comme le souffle d’un être vivant.

Ibn Sînâ (Avicenne) développa cette idée dans sa Métaphysique : pour lui, le mouvement des sphères est la conséquence de leur amour pour le Créateur ; chaque planète tourne parce qu’elle aspire à Sa lumière. Al-Râzî, de son côté, traduisit cette vision en termes de causalité : « La rotation perpétuelle est signe de la continuité du décret ; car si Dieu cessait un instant de vouloir, tout s’arrêterait. »

Ainsi, la création n’est pas un événement clos : elle est un acte continu. Le Coran dit : « Chaque jour, Il est à une œuvre. »(Ar-Raḥmân 55 : 29)

Ibn Taymiyya commente : « Il crée, Il pourvoit, Il guide, Il pardonne. » Les mystiques diront plus tard : « Chaque battement du cœur est une création nouvelle.»
Le cosmos est donc la scène d’un acte constant : Dieu maintient le monde comme un poète maintient le souffle de sa récitation.

Les soufis comparaient la genèse universelle aux étapes de l’âme. Al-Ghazâlî voyait dans les six “jours” les six degrés de la purification intérieure : la matière brute correspond à la “nafs”, la terre au cœur, le ciel à l’esprit, la lumière à la connaissance, la rotation à la constance et le Trône à la proximité. « Contempler la création, disait-il, c’est lire sa propre origine. »

Ainsi, l’univers devient un miroir : plus l’homme le comprend, plus il découvre sa propre structure. Dans la grande mosquée de Cordoue, un savant récitait le verset :        « Tu ne verras point de défaut dans la création du Miséricordieux ; retourne ton regard : vois-tu quelque brèche ? » (Al-Mulk 67 : 3)

Puis il ajoutait : « Et si tu ne vois pas de défaut dans le ciel, pourquoi en cherches-tu dans ton frère ? »
La contemplation cosmique devenait alors morale, l’équilibre du monde enseigne la justice du cœur.

A travers les siècles, les savants musulmans contemplèrent la création non pour rivaliser avec Dieu, mais pour glorifier Sa sagesse. Al-Bîrûnî, al-Zarqâlî, Ibn Sînâ, Ibn al-Haytham, al-Râzî : tous lisaient le monde comme un texte sacré. Ils observaient, mesuraient, calculaient, mais au fond de leur regard brûlait la certitude qu’aucune loi ne peut exister sans Législateur.

Et quand les savants modernes parleront du Big Bang, de l’expansion et du rayonnement fossile, le croyant entendra dans ces découvertes un écho des versets : « Et le ciel, Nous l’avons construit par la force, et Nous l’élargissons. » (Adh-Dhâriyât 51 : 47).

Là où la science décrit la cause physique, la Révélation rappelle la finalité : tout ce qui s’étend retournera à son origine. Le croyant lève alors les yeux vers la voûte étoilée et murmure :

« Seigneur, Tu n’as pas créé cela en vain ! Gloire à Toi ! Préserve-nous du châtiment du Feu. » (Âl ‘Imrân 3 : 191)
Son cœur comprend que le monde n’est pas une énigme à résoudre, mais une invitation à s’émerveiller. Le néant d’où nous venons n’est pas le chaos, mais la preuve de l’Amour qui le fit naitre. Et le silence du ciel continue de réciter, nuit après nuit, le premier mot de la création : « Sois ! »
Et tout, depuis quatorze siècles, continue d’être.

 

Commentaires

  1. Bravo pour tout les efforts fournies a la recherche dans les textes des savants musulmans afin de prouver les réalités entre la science et le coran.

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